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Nintendo en procès : une nouvelle polémique

Nintendo en procès

Même dans le monde du jeu vidéo, des controverses peuvent faire parler d’elles. Tout le monde sait qu’un mauvais jeu peut faire parler de lui. Cependant, les actions d’une entreprise restent en général moins discutées par le grand public. Mais nous avons souvent tendance à oublier que, derrière nos jeux favoris, se cachent une multitude de personnes occupant une variété de postes différents. Malheureusement, ces personnes ne sont pas tout le temps traitées avec le respect qu’elles méritent.

Les entreprises de jeux vidéo, comme toutes les entreprises, doivent respecter des lois régissant le travail de ses employés. Depuis quelques années, des scandales éclatent au sein de l’industrie du jeu vidéo, comme par exemple les récentes polémiques entourant Activision-Blizzard depuis juillet 2021. L’entreprise s’est retrouvée plusieurs fois au tribunal pour des affaires de discrimination, de non-respect de la parité homme-femme, mais aussi de harcèlement et d’agressions sexuelles.

Ces polémiques ont secoué le monde du jeu vidéo, avec de nombreux boycotts et manifestations pour soutenir les victimes de ces agissements n’ayant pas leur place dans notre société. De nombreux streamersont arrêté la diffusion de contenu appartenant aux studios concernés, une manifestation rassemblant près de 300 personnes a eu lieu devant les locaux de Blizzard et une lettre ouverte a été signée par près de 500 employés d’Ubisoft, où une affaire similaire a éclaté en 2020.

Tout n’est pas si rose chez Nintendo

S’il y a bien une entreprise dont nous n’avions pas encore entendu parler et que nous n’imaginions pas être accusée de ne pas respecter ses employés, c’est bien Nintendo. L’univers joyeux et coloré de l’entreprise pourrait cependant bien cacher son jeu.

C’est le site Axios qui a rapporté pour la première fois cette histoire. En effet, Nintendo of America, la division Nord-Américaine du géant japonais, ainsi que la firme de recrutement Aston Carter, sont dans le viseur du National Labor Relations Board (NLRB) après qu’un ex-employé (dont nous ne connaissons pas le nom) ait porté plainte auprès de cette organisation. Selon lui, son ancien employeur a « violé son droit de se syndiquer ». Le NLRB est une agence américaine s’occupant d’enquêter sur les pratiques illégales au sein du monde du travail. Elle s’occupe notamment de vérifier que les entreprises américaines respectent bien les règles du marché du travail. Dans le cas contraire, elle intervient et se charge de mettre en place les procédures requises visant à punir ceux ne respectant pas les lois en place. Dans la majorité des cas, les entreprises américaines font leur possible pour éviter d’être surveillées, de peur des représailles.

L’ancien employé accuse donc Nintendo et Aston Carter de lui avoir fait plusieurs promesses qui ne seraient jamais arrivées. S’ensuivirent selon lui une pression démentielle sur le lieu de travail, une surveillance déraisonnée, et même des menaces de représailles. Il souligne également que les employés mentionnant le fait de se syndicaliser étaient « disciplinés » par l’entreprise qui exerçait ensuite une surveillance accrue sur ces derniers. Toujours dans ce contexte, l’employé a été licencié seulement quelques jours après avoir mentionné le fait de se syndiquer au cours d’une réunion. L’ex-employé mentionne également dans sa plainte avoir été licencié pour avoir partagé des « informations confidentielles », telles que le montant de son salaire, ainsi que d’« autres conditions d’emploi ».

Plusieurs zones d’ombre

L’affaire étant encore récente, peu d’éléments ont encore fait surface. Aucun autre employé n’a pris la parole à ce sujet ; il est donc difficile de se rendre compte de l’ampleur d’une telle histoire. Cependant, il y a fort à parier que d’autres éléments seront révélés avec le temps – la polémique entourant Activision-Blizzard en est un très bon exemple.

Un détail attire tout de même l’œil : Le nom d’Aston Carter. En réalité, cette firme de recrutement américaine a été employée par Nintendo of America pour trouver des candidats à plusieurs postes, bien souvent dans le domaine du service client. À l’heure actuelle, nous ne connaissons pas le degré d’implication de l’entreprise dans cette affaire, mais au vu de sa figuration dans la plainte de l’ex-employé, on peut imaginer qu’elle ne soit pas innocente.

Nintendo, de son côté, a répondu au média américain Polygon concernant cette affaire. Dans leur réponse, ils affirment « Être au courant de la plainte, déposée auprès du National Labor Relations Board par un prestataire ayant été licencié pour avoir divulgué des informations confidentielles, et pour aucune autre raison. Nintendo n’est au courant d’aucune tentative de syndicalisation ou d’activité relative et a l’intention de collaborer à l’enquête du NLRB. Nintendo s’engage à offrir à tous ses employés et prestataires un environnement de travail accueillant. Nous prenons les questions d’emploi très au sérieux. ».

Des conditions de travail déplorables

Dans l’industrie américaine, de nombreux domaines sont dépourvus de syndicats. Le monde du jeu vidéo est dans ce cas, car de nombreuses entreprises emploient via des firmes de recrutement des « contractuels », des personnes ne travaillant que pour une durée de onze mois, renouvelables après une pause de deux mois. Pendant leur pause, Les « contractuels » peuvent toucher le chômage, mais restent sans protection médicale pendant cette durée (La sécurité sociale n’existe pas aux États-Unis, c’est l’employeur qui fournit une couverture sociale à ses employés).

Souvent employés en tant que testeurs ou au service client, leurs conditions de travail sont inférieures à celles d’employés « normaux », bien que leur charge de travail soit similaire, voire supérieure dans certains cas. En effet, lors de périodes de « crunch », lorsque le développement d’un jeu est en retard, les employés sont amenés à faire des heures supplémentaires, jusqu’à vingt heures par jour, très souvent non payées, en dormant dans des bureaux et avec une hygiène de vie réduite presque au minimum.

En plus de cela, leur paie est dérisoire : plusieurs testeurs de Nintendo of America ont témoigné gagner 16 dollars de l’heure, soit moins que le salaire minimum à Seattle, la grande ville la plus proche de leurs locaux de Redmond, alors que le marché immobilier y est l’un des plus chers du pays.

Quelques progrès dans l’industrie

Aux États-Unis, les travailleurs de plusieurs secteurs, y compris ceux du monde vidéoludique, montrent depuis quelques temps une forte envie de se rassembler pour faire valoir leurs droits auprès de leurs employeurs. En 2009, un sondage a montré que seulement un tiers des travailleurs du secteur étaient prêts à rejoindre ou soutenir un syndicat à leur lieu de travail. En 2019, ce nombre est monté à 47% et en 2021, il est arrivé à 78% de personnes en faveur contre seulement 9% contre.

Un bon exemple de syndicalisation sur le lieu de travail est celui des « contractuels » employés par Activsion-Blizzard ont récemment réussi à faire. Après plusieurs manifestations et en ayant réussi à mettre les fans de leur côté, leur employeur les a entendus et les a embauchés en bonne et due forme, avec un salaire de 20 dollars par heure et tous les avantages sociaux que cela apporte. Cela peut paraître comme peu, mais c’est une avancée colossale dans l’industrie.

De nombreuses autres initiatives existent au sein de plusieurs studios, comme A Better ABK (Activision Blizzard King), A Better Ubisoft and Rioters for Change. Cependant, comme le dit Stephen, un représentant du Game Workers of Southern California, une branche du groupe de défense Game Workers Unite, « le syndicat est l’une des dernières étapes d’un très long combat. » Les syndicats dans le monde du jeu vidéo ont une histoire très courte : le premier a été fondé en 2021 par le studio Vodeo Games, à qui l’on doit notamment le jeu Beast Breaker.

Pour l’instant, Nintendo reste muet sur cette situation délicate. Cependant, bien que l’affaire n’existe que depuis quelques semaines, plusieurs éléments laissent suggérer que l’affaire n’en restera pas là. Selon Harley Shaiken, un expert du monde du travail travaillant à l’université de Berkeley, le fait que la plainte ait été publiée sur le site internet du NLRB montre que la situation est prise très au sérieux. Malheureusement, nous n’avons pas fini d’entendre parler de cette triste histoire au pays des champignons souriants.